Gabriel H. Hoper [FINISH]

« Non. » Leurs avait-il dit simplement en agrafant le bouton de son col. Affronter leur regard il ne le pouvait pas, aussi baissa t-il le sien. Il ne vit pas leur visage interrogateur ni le soubresaut dédaigneux des deux paires d’épaules en face de lui. Ces journalistes trouveraient bien un autre citoyen à interroger. En soulevant ses paupières Gabriel aperçut ses mains aux extrémités bleuâtres. Pour son plus grand bonheur l’hiver était arrivé tôt cette année. S’habiller chaudement par ces journées à la température négative était devenu un vraie calvaire, la moindre tiédeur lui étant devenue insupportable. La chair de poule marquait sa peau, colorait ses lèvres. Le vent lui apporta l’étincelle.
L’écharpe s’était enroulée sur son bras sans qu’il s’en aperçoive. Il eut du mal à ralentir son cœur encouragé par les couleurs chaudes du tissu. Ses doigts l’emprisonnèrent. Elle n’irait pas choire sur un autre bras que le sien. Tout en pivotant sur lui même ses pupilles cherchèrent le propriétaire de l’étoffe. La scène se présenta devant lui comme une mère se présente à son enfant.
Ses joues aux pommettes rosées, ses cheveux mi-longs à la couleur de corbeau, contrastaient harmonieusement avec sa peau laiteuse. La laine de sa capuche caressait les délicieux traits de son cou tandis que ses doigts fins s’attelaient à retrousser le bas de son jean. Sourcils froncés, la mine à la fois douce et songeuse, elle mit l’un après l’autre ses pieds nus dans l’eau glacée de la fontaine. Ses yeux aux sourcils habilement recourbés tentèrent de passer outre la surface du liquide afin d’apercevoir l’objet de ses désirs. Gabriel dû penser que l’écharpe entre ses doigts lui appartenait puisqu’il se mit à marcher dans sa direction.
Autour du monument une troupe de passants trouva la scène assez curieuse pour s’arrêter quelques instants. Plus loin, sur un banc un groupe d’adolescents riait au éclat en pointant du doigt l’attraction du moment. Il fallait être dupe pour ne pas leur attribuer le méfait qui avait conduit cette jeune fille à braver le froid nus pieds. Cette dernière avait l’air tellement obnubilé par ses recherches que Gabriel hésita avant d’oser lui adresser un mot.
« Cette écharpe est à vous ? »
Silence. Aucune réponse ne lui parvint car aucune réponse n’avait été donnée. Réitérer la question aurait sans doute était vain aussi Gabriel en resta là.
« Tu la retrouveras jamais ta fichue gourmette ! » S’époumona une adolescente en rejoignant ses confrères sur le banc. La moquerie était décidément un des passe-temps préférés des jeunes. Cette fois Gabriel ne perdit pas de temps à utiliser sa langue; manches relevées il prit tout juste la peine d’enlever ses chaussures avant de lui venir en aide. Elle ne sembla pas plus à l’écoute que lorsqu’il avait ouvert la bouche. Tout juste était telle consciente de ce qui l’entourait. Les recherches s’intensifièrent et aboutirent finalement au bout d’un bon tour de cadran.
« Je crois que je l’ai trouvée. »
Enfin arrivaient les mots qu’elle attendait si désespérément. Tremblante elle se leva, se retourna. Ses lèvres étirées en un sourire conquis, elle avança vers Gabriel les yeux rivés sur l’objet qu’il tenait entre les mains. Enfin elle daigna lui jeter un regard. Il n’en fallut pas plus à l’adolescent pour que ses joues ne flambent. Décidément convaincue que les gestes valent mieux que la parole, elle se hissa sur la pointe des pieds et passa tendrement ses bras autour du coup de Gabriel. Alors sa bouche violacée rejoignit les lèvres bleutées de Gabriel dans un délicieux baiser.